Chapitre 8

Du manuscrit au(x) livre(s)

Editions et réceptions

Mémoires de l’Enclave est un ouvrage qui, au sens propre, initialement, dérange : Flammarion, qui avait édité les deux précédents romans de Goux, n’en veut pas et une certaine presse communiste le réprouve. Edité chez Mazarine en 1986, l’ouvrage est réédité par Actes sud en 2003 et a fait, depuis, école.

Photographie prise lors d'une séance de dédicaces au musée Japy à Beaucourt en avril 1986 au moment de la parution des Mémoires de l'Enclave. Photographie de Gilles Choffé
Photographie prise lors d'une séance de dédicaces au musée Japy à Beaucourt en avril 1986 au moment de la parution des Mémoires de l'Enclave. Photographie de Gilles Choffé

Le choix de l’éditeur : de Flammarion aux éditions Mazarine

« Les commanditaires ne sont pas éditeurs ». C’est en ces termes que Jean-Paul Goux désigne le travail qui reste à accomplir, fin 1985, pour publier son manuscrit. Les échanges avec son premier éditeur, Flammarion, sont tendus. Celui-ci ne comprend pas les enjeux du moment qui sont doubles. D’une part, assumer l’originalité d’un travail situé entre histoire et littérature, tout comme l’effort entrepris pour transformer documents et témoignages en une matière littéraire. D’autre part, s’adresser à un lectorat plus large que celui, demeuré confidentiel, de ses quatre premiers romans. Or, en lui demandant de réduire sensiblement le volume de son manuscrit, Flammarion manifeste une incompréhension qui détermine la rupture. Goux exprime ainsi son refus de transiger et de s’accommoder de contingences extérieures à ce qui fait la littérature. Il se tourne alors vers l’éditeur Olivier Cohen, qui l’accueille aux éditions Mazarine.

Lettre de Jean-Paul Goux à Oliver Cohen, le 25 novembre 1985 (extrait)
Lettre de Jean-Paul Goux à Oliver Cohen, le 25 novembre 1985 (extrait)

Lettre de Jean-Paul Goux à Oliver Cohen, le 25 novembre 1985 (extrait) © GOU 04 B 0123

Éloges de la complexité

Une quinzaine d’articles parus dans la presse écrite entre avril et juillet 1986 témoignent de l’intérêt suscité par le livre.

Compte-rendu de Laurent Lemire dans La Croix (2 juin 1986)
Compte-rendu de Laurent Lemire dans La Croix (2 juin 1986)

Compte-rendu de Laurent Lemire dans La Croix (2 juin 1986) © Fonds Goux, GOU 4 D 0022

Les critiques parues dans la presse nationale, la presse régionale et dans les magazines littéraires, soulignent toutes l’originalité d’un texte « inclassable » (Laurent Lemire dans La Croix du 2 juin 1986). De son côté, Monique Houssin, dans L’Humanité-Dimanche du 22 juin 1986, parle « d’une ethnologie littéraire contemporaine ». De manière significative, le livre suscite une lecture qui déplace les frontières traditionnelles entre les disciplines. C’est un historien du mouvement social, Patrick Fridenson, qui consacre un article, élogieux, à l’ouvrage dans Libération, tandis que le critique littéraire Arnaud Malgorn, dans La Quinzaine littéraire, insiste plutôt sur la dimension documentaire du livre.

La critique met également en relief un aspect essentiel : la mise en valeur du caractère clairement « consenti » de la domination subie par le monde ouvrier dans l’Enclave. François Moulin, dans une série d’articles pour L’Est républicain, qualifie Goux de « montreur d’ombres », en référence à son premier roman, paru en 1977, et insiste sur la dimension dérangeante d’un livre qui brouille les schémas réducteurs.

Une voix dérangeante

Trois articles parus dans la presse militante, L’Unité, Force ouvrière hebdo et M mensuel, marxisme mouvement, témoignent du trouble suscité par l’ouvrage chez les militants d’extrême gauche.

Compte-rendu d’Henri Lefebvre dans M mensuel, marxisme mouvement (extrait)
Compte-rendu d’Henri Lefebvre dans M mensuel, marxisme mouvement (extrait)

Compte-rendu d’Henri Lefebvre dans M mensuel, marxisme mouvement (extrait) © Fonds Goux, GOU 04 D 0012

Le plus sévère est alors l’intellectuel communiste Henri Lefebvre. Il reproche à Goux d’avoir oublié son commanditaire, la Cité, et derrière elle le combat des militants communistes – Paul Cèbe en tête – pour rendre visible la condition ouvrière en Franche-Comté, à la Rhodiaceta de Besançon (Chris Marker) ou aux usines Peugeot de Sochaux (les groupes Medvedkine). Selon lui, Goux est trop extérieur au monde qu’il décrit et le témoin « ne se fait pas assez égorger ». Ces crispations montrent combien ce qui touche au mouvement ouvrier et à ses luttes reste très sensible au milieu des années 1980 et expliquent cette réception réservée dans la presse militante.

1re de couverture de l’édition de poche des Mémoires de l’Enclave, Actes Sud, 2003
1re de couverture de l’édition de poche des Mémoires de l’Enclave, Actes Sud, 2003

1re de couverture de l’édition de poche des Mémoires de l’Enclave, Actes Sud, 2003

Dix-sept ans plus tard, en 2003, l’ouvrage est réédité au format de poche chez Actes Sud dans la collection « Babel ». Entre-temps, l’écrivain s’est imposé comme une des voix majeures du roman contemporain. Sa réflexion sur le temps, sur les voix individuelles et sur la mémoire collective, poursuivie dans ses romans ultérieurs, souligne rétrospectivement la cohérence et l’actualité de l’entreprise menée dans les Mémoires de l’Enclave. Elle trouve des échos dans la création contemporaine, notamment chez un écrivain comme François Bon, auteur de Daewoo en 2004.

Écrit par Odile Roynette

Droits photographiques : Fonds Archives Goux

Suggestions

image du chapitre 7

CHAPITRE 7

La fabrique du texte

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CHAPITRE 9

Le fonds photographique

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CHAPITRE 1

Une commande de la cité