Lors de sa création en 1987, Le Saut de l’ange dérangea. Le public, le milieu professionnel eurent quelque mal à l’identifier. Née de la collaboration avec le plasticien Christian Boltanski, artiste de la mémoire et du matériau impalpable, également connu comme grand provocateur, la pièce bousculait en effet tous les codes établis, à commencer par ceux du chorégraphe lui-même. La captation de Charles Picq restitue, intactes, à la fois l’audace et l’ingénuité des interprètes, la fragilité du don ainsi offert au public et, surtout, l’extraordinaire inventivité d’une oeuvre décapante qui n’a pas pris une ride.
Sur leur tréteau enjuponné de rouge, sous l’ange qui les visite un instant, délicatement projeté sur les murs de la Cour, ils dansent, il dérisionnent sur eux-mêmes, tous ces petits personnages colorés qui sont aussi des « hommes et des femmes qui dansent », comme se plaisait à le dire Bagouet. Athlète de foire, Vénus de barrière en tutu jaune citron, rat d’hôtel ou danseuse flamenco, dans leurs falbalas et leurs diadèmes de pacotille, ils trépignent, galopent, sautillent, pieds flex et poignets cassés, appuyant leurs apparentes pitreries sur une impeccable technique. Comagicien de ce chef-d’œuvre pas comme il faut, Pascal Dusapin tisse de ses cuivres puissants le grand silence bagouetien.
Chantal Aubry in Catalogue images de la culture n° 19, CNC, janvier 2005.