Créée à l’époque où la compagnie Bagouet vivait de tournées JMF (Jeunesses musicales de France) et de lendemains précaires, Sous la blafarde a toujours été considérée comme une pièce ludique, théâtrale et délibérément charmeuse. Cette captation avec les six interprètes d’origine restitue – malgré la mauvaise qualité de l’image aujourd’hui – certes un univers badin, voire un peu farce, peuplé de pierrots lunaires en collerette de satin, usant volontiers de la pantomime : mais elle révèle déjà chez Bagouet une hardiesse qui sera la marque de tout son parcours artistique. Hardiesse de l’univers sonore, qu’il fabrique avec les voix de ses danseurs, plutôt des cris, des pleurs, des vocalises dont l’incongruité impose d’emblée une atmosphère étrange. Ou par le recours au phrasé nostalgique d’un accordéon, alors nettement à contre-courant. Même assurance, même fermeté du dessin dans la composition de soli, duos, sextuors, graves ou désinvoltes. Sous le flou apparent du style, lié parfois à l’interprétation de certains danseurs, celui de Philippe Cohen notamment, encore très carlsonien, s’ébauche une danse précise et très modelée. Au travail au sol, aux défilés pinabauschiens, se mêlent des éléments plus personnels, finesse du jeu des mains, piétinement légers, quelque chose d’une gestuelle aérienne renvoyant, plutôt qu’à la théâtralité, à la poésie du quotidien. Elément d’émotion : la jeunesse des interprètes, parmi lesquels Michèle Rust, Bernard Glandier, Sylvie Giron, futurs piliers de la compagnie Bagouet.
Chantal Aubry, in Catalogue images de la culture n° 19, CNC, janvier 2005.

Noir et blanc